J'haïs les Anglais (François Barcelo)

François Barcelo. – J’haïs les Anglais. – Montréal : Coups de tête, 2014. – 108 p.

Roman noir







Résumé : Le narrateur, dont on ignore le nom, est l’employé d’une banque québécoise, la BQ, dans le village fictif de Sainte-Cécile-de-Bougainville et aspire à en devenir le directeur adjoint. Avec l’arrivée d’une succursale d’une banque canadienne dirigée par des anglophones, la TCBC (Trans-Colonial Bank of Canada) dans l’édifice voisin, le jeune homme de 28 ans qui ne parle pas anglais et qui déteste les anglophones craint pour son emploi et sa carrière.

Après s’être vu refusé un prêt tant par la BQ que la TCBC pour l’achat d’une franchise de la Baraque à poutine qui 162 variétés de poutines  et assurer son avenir, le protagoniste décide de planifier un braquage de son concurrent : agir pendant sa pause en s’inspirant du modus operandi du voleur qui s’était attaqué à la BQ quelques mois plus tôt en laissant croire à ses collègues de travail qu’il est endormi dans son bureau, fuir en autobus et revenir à la BQ en taxi, avec le butin… le tout en moins d’une heure.

Mais son plan de fuite ne se déroule pas du tout comme prévu : des touristes australiens qui ne parlent pas français, un GPS, des panneaux de signalisation, un pont ferroviaire, des dizaines de morts et quelques blessés encore conscients se mettent de la partie faisant en sorte que le rêve devienne un cauchemar.

Commentaires : J’haïs les Anglais  est le deuxième roman noir de la quadrilogie publiée à ce jour par François Barcelo aux éditions Coups de tête. J’haïs le hockey était rigolo sans plus. Avec une finale qui manquait de punch. Mais ici, j’avoue m’être  davantage amusé avec les aventures rocambolesques de ce personnage dont la naïveté s’harmonise à merveille avec le cynisme des jugements qu’il porte sur les travers de la société québécoise.

On est en présence d’un personnage loufoque qui ne lâche pas le morceau, même si en cours de route les données  et les événements anticipés ne sont pas nécessairement au rendez-vous comme prévu. Un Québécois né pour un petit pain qui, au fur et à mesure que se déroule le récit, attire toute la sympathie du lecteur. Au point où on lui souhaite même de réussir. Le tout raconté sur à peine une centaine de pages.

À lire, peut-être pas pour haïr les Anglais, mais pour rigoler pendant quelques heures.

Ce que j’ai aimé : La structure et le rythme du récit. Le climat général. La résilience du protagoniste. Évidemment la qualité de l’écriture et la construction romanesque : un conte fantaisiste.

Ce que j’ai moins aimé : -


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Le jardinier des Molson (Pierre Falardeau et Richard Forgues)

Pierre Falardeau (scénario) et Richard Forgues (dessins). – Le jardinier des Molson. – Montréal : Gentilhomme de fortune, 2014. – 414 pages.
ISBN 978-2-9812311-1-6

etc. Bande dessinée




Résumé : Nous sommes à la fin de 1918, dans le nord de la France. Quatre jours dans la vie de soldats du 22e régiment dirigés par le sergent Jules Simard, jadis jardinier des Molson à Grand-Métis. La troupe est en première ligne, dans un poste avancé, dans des conditions déplorables. Malheureusement le groupe canadien-français, les Allemands creusent sous leur poste une mine pour y stocker des tonnes d'explosifs avec comme objectif de le faire sauter quand l'occasion se présentera. Pendant les quatre jours les plus longs de leur vie, la section de Jules Simard discutent de politique, d’exploitation des francophones par les anglos, de trahison de leur élite en attendant le moment fatidique. La vengeance du jardinier des Molson sera impitoyable.

Commentaires : On a affaire ici à une adaptation sous forme de bande dessinée d’un scénario d’un film qu’avait écrit le cinéaste Pierre Falardeau qui, on le comprend par la critique acerbe de la société "canadienne" de l’époque, n’avait jamais été réalisé, de financement.

L’auteur nous fait revivre, de manière très intimiste, les conditions inhumaines des soldats conscrits dans les tranchées boueuses de cet avant-poste non stratégique. Écrit dans un langage très québécois qui alourdit parfois la lecture, assorti, de page en page, du vocabulaire religieux servant à marquer colère et dégoût, cette bande dessinée constitue une belle contribution à la connaissance de l’Histoire non officielle « canadienne-française). Falardeau utilise le contexte meurtrier de la Grande Guerre pour décrire l’exploitation des canadiens-français par la bourgeoisie anglophone, le clergé collaborateur, les politiciens véreux et les journalistes complaisants qui imposent leur vision au petit peuple de colonisés.

Ce que j’ai aimé : L’ambiance créée par les dessins de Forgues. La description de la vie quotidienne dans les tranchées. Les références historiques et la lucidité des protagonistes.  

Ce que j’ai moins aimé : Le format du livre. Une couverture plus rigide en aurait facilité la lecture.


Cote : ¶¶¶¶


Je suis un tueur humaniste (David Zaoui)

David Zaoui. – Je suis un tueur humaniste. – Paris : Éditions Paul & Mike, 2016. – 233 pages.
ISBN 978-2-36651-094-2

Roman noir







Résumé : Orphelin depuis l’âge de six mois, Ernest Babinsky possède un don hors du commun pour le tir : à l’arbalète, aux billes, au caillou, à l’étoile de Ninja, au lance-pierre, à la fléchette et à l’arc. Toujours en plein dans la cible avec ses projectiles, admiré de tous, dans l’orphelinat de Montpellier où l’ont abandonné ses parents. Jusqu’à la fin de son adolescence, alors qu’il fait la rencontre du petit Roberto (aussi appelé Cyrus le gros) qui le prend sous son aile et l’initie au maniement des armes à feu : Magnum, Beretta, Colt, Smith & Wesson, fusils à canon lisse, à pompe, à canon rayé, à verrou, semi-automatiques… Avec lesquels il excelle. Un jour, à la demande du petit Roberto, Babinski accepte de devenir tueur à gages.

Mais Babinski aime son prochain et refuse de tuer même des mécréants en exigeant au préalable que ses victimes ne meurent pas sans avoir vécu le plus beau jour de leur vie, sans avoir été pleinement heureuses. Et le tueur humaniste et parisien ne veut pas tuer les animaux pour le plaisir, surtout pas les chiens, même pour les manger. Après un contrat réussi haut la main en éliminant un névropathe surnommé Gaëtan-le-vrai-fils-de-pute, Babinski peine à retrouver le sommeil et décide de consulter un psy plutôt excentrique. De contrat en contrat, à la recherche de son propre bonheur, l’as du tir est de plus en plus confronté avec sa propre raison de vivre.

Commentaires : Lorsque David Zaoui m’a offert de me transmettre une copie de son premier roman, un « polar déjanté » comme il l’a qualifié, j’ai été curieux par la thématique originale : « un tueur à gages qui rend heureuses ses futures victimes avant de les liquider! et... qui se fait psychanalyser ». J’ai aussi accepté l’offre parce que je suis sensible au fait que les nouveaux auteurs – j’en suis - peinent à se faire connaître et à intéresser le lectorat qu’ils visent à la suite du lancement de leur premier opus.

Telle ne fut pas mon étonnement, après quelques chapitres. Une œuvre originale ! Un tueur attachant et intellectuel qui lit les grands philosophes et écoute Johannes Brahms pour traverser ses nuits d’insomnie. Un assassin qui n’est pas recherché par la police ! Qui côtoie une brochette de personnages tous aussi plus originaux les uns que les autres, presque sortis d’une bande dessinée : le propriétaire du bistro, le pizzaiolo, le psychopathe fabriquant de poisons… et les victimes, évidemment. Dans un scénario teinté d’un humour subtil et d’une critique sociale bien sentie. Avec de longs dialogues découpés au scalpel, parfois presque irréels, qui dépeignent à merveille la psychologie de chacun des personnages, tous en quête d’une vie meilleure. Honnêtement ou malhonnêtement.

Parce que c’est là la grande surprise qui attend le lecteur. Sous le couvert d’un roman policier annoncé par une première de couverture qui pique la curiosité, cette fiction est d’abord et avant tout la démarche d’un homme qui, dès son jeune âge, a été en manque d’affection et qui s’est donné comme mission d’en répandre autour de lui. Le premier chapitre donne bien le ton. Et le dernier boucle la boucle : Babinski, personnage attachant, trouve finalement son bonheur et le sommeil avec celui qui deviendra son meilleur ami. Mais attention, on n’a pas affaire ici à une œuvre moralisatrice. Mais qui fait tout de même réfléchir. Écrit simplement, sans artifices, sans détours.

Enfin, on pourrait longtemps en discuter, mais les puristes ne qualifieraient pas ce récit du tueur humaniste de « polar » mais peut-être davantage de « roman noir ». Ce qui n’enlève rien à la qualité et à l’originalité de l’œuvre romanesque. Et au bonheur de la lire.

Merci aux Éditions Paul & Mike de m’avoir fait faire cette belle découverte et forcé à savourer un roman, pour la première fois, sur une tablette de lecture. Aussi disponible en format papier. Bons succès pour l’avenir !

Ce que j’ai aimé : L’effet-surprise, le ton humoristique, les dialogues « ciselés », l’écriture fluide et, évidemment, le personnage humaniste.  

Ce que j’ai moins aimé : -


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Les clefs du silence (Jean Lemieux)

Jean Lemieux. – Les clefs du silence. – Montréal : Québec Amérique, 2017. – 364 pages.
ISBN 978-2-7744-3265-5

Polar







Résumé : Début juillet 2009, pendant le Festival du Jazz, sous la canicule. À deux pas du nouveau Centre hospitalier universitaire de Montréal (CHUM), un infectiologue est retrouvé sauvagement assassiné à l’arme blanche et scalpé. Puis c’est le tour d’un ex-ministre fédéral et du chien d’un ex-felquiste. Alors que sa fille est en instance d’accoucher, le sergent-détective André Surprenant du Service de police de la ville de Montréal (SPVM) mène l’enquête. Que viennent faire les magouilles et la corruption des multinationales entourant la construction du nouveau CHUM, les contributions illégales aux partis politiques, les événements d’octobre 1970 et un certain livreur de poulet, la grande recrue de 1653 dont Paul Chomedey de Maisonneuve, un sosie du chanteur des Cowboys fringants, les Belles sœurs de Michel Tremblay, le Bloc et le Parti québécois, le Parti libéral du Québec, les tensions au SPVM (tiens donc !), le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), la CIA et un coq portugais dans cette quête de la vérité ?

Commentaires : Jean Lemieux nous livre ici un roman touffu, très documenté, une intrique complexe avec une multitude de personnages et d’indices. En arrimant le récit avec la réalité historique qu’il décrit et interprète, dit-il librement, le créateur du sergent-détective André Surprenant, personnage un peu porté sur la consommation d’alcool, donne l’impression d’avoir eu accès à certaines informations à partir de sources privilégiées. Il s’agit là d’une caractéristique intéressante des polars qui permettent de dénoncer des injustices et des manipulations politiques, économiques et sociales, tout en déclarant que les personnages et les événements décrits sont fictifs. Sont aussi omniprésentes les convictions politiques de l’auteur et de son héros ainsi que son désir de les partager. En ce sens, certains jugements sur la société québécoise sont très réalistes et m’ont rejoint.

Mais à vouloir trop en mettre, on s’y perd parfois un peu, mais la curiosité de savoir et l’intérêt ne fléchissent pas de chapitre en chapitre. Des chapitres « thématiques » courts, bien construits. Une écriture remarquable. Des références musicales appropriées. Même une recette de paëlla avec du romarin (?), peut-être celle de l’auteur. On a définitivement hâte que le policier et ses collègues finissent par faire la part des choses dans ce nœud gordien d’hypothèses tout aussi crédibles les unes que les autres. Évidemment, la solution décrite dans ses moindres détails viendra… dans un des derniers chapitres. Somme toute un roman bien ficelé, avec une incursion dans la vie personnelle et familiale du héros.

Je dois avouer que Les clefs du silence m’a fait découvrir cet auteur très prolifique. Ce roman m’a donné le goût de remonter aux aventures antérieures d’André Surprenant qui sont sur ma pile de prochaines lectures.

Ce que j’ai aimé : L’idée originale. L’arrimage avec la réalité actuelle de la société québécoise et à certains événements historiques. La haute qualité du texte. L’humour de l’auteur. Les fleurs de lys parsemées tout au long du récit. Une première de couverture qui résume bien le propos. Le fait que les coupables ne seront probablement pas punis à la hauteur de leurs crimes, comme c’est souvent le cas lorsqu’il est question de magouilles politiques. La dernière phrase (n’allez surtout pas la lire).

Ce que j’ai moins aimé : L’apparition d’un nouveau membre dans la famille du policier (et je ne fais pas ici référence à Paul Massicotte) qui, bien qu’elle crée une nouvelle dynamique dans le couple du héros, n’est peut-être qu’une prémisse à un prochain opus.


Cote : ¶¶¶¶


L'Ordre du Méchoui (Lionel Noël)

Lionel Noël. – L’Ordre du Méchoui. – Montréal : Tête première, 2016. – 347 pages.
ISBN 978-2-924207-63-5

etc. Roman








Résumé : En Belgique, à la fin du XIXe siècle, plus précisément en 1892, un jeune orphelin est accueilli à titre d’initié chez un maître rôtisseur qui l’initie à l’art de l’embrochage, de la marinade. Ce dernier lui fait découvrir l’Ordre des Maîtres du Méchoui, aussi connu sous le nom de l’Ordre des Cinq cercles associés au vide, à l’eau, à l’air, à terre et au feu, et son Codex référentiel qui régit les bonnes pratiques du métier.

La rôtisserie étant un art millénaire qui n’a pas de frontière, le jeune apprenti est appelé à côtoyer plusieurs membres de l’Ordre en Europe, en Afrique, en Asie et en Amérique et à s’initier aux spécialités de chacun. Pendant son apprentissage qui lui permettra d’acquérir le titre Maître rôtisseur, il rencontre au passage des personnages célèbres : politiciens, artistes, écrivains… et pas les moindres.

Confronté entre les enseignements traditionnels et le modernisme, il devra prendre position au risque de se mettre à dos les fractions plus conservatrices de son métier. 

Commentaires : Lionel Noël nous a livré un roman que je qualifierais à la fois d’historique puisqu’il s’accroche aux moments importants de la grande histoire du 20e siècle et de gastronomique parce qu’il nous fait saliver avec ses descriptions culinaires.

Ce roman épicurien est un pur délice, particulièrement dans sa première partie : certains chapitres se dégustent comme un menu cinq services. On envie le jeune apprenti qui découvre de maître en maître les secrets de la cuisson idéale des viandes. Sans parler des enseignements philosophiques qui découlent de la pratique de l’art du méchoui.

Ce récit humaniste repose sur l’incontournable transmission du savoir, du savoir-être et du savoir-faire entre les générations depuis la nuit des temps. Et des défis d’adapter les pratiques traditionnelles dans un monde en constante évolution.

Lionel Noël s’était fait désiré après voir publié aux éditions Alire deux romans d’espionnage en 2004 (Opération Iskra) et en 2013 (Brouillard d’automne) qui font partie de mes lectures en attente. Son expérience de cuisinier et son souci de l’arrimage d’un récit fictif avec des faits historiques font que ce roman thématique est vraiment une réussite. À lire en savourant un verre de vin rouge bien charpenté.

Ce que j’ai aimé : La psychologie et les valeurs du personnage principal, son parcours historique, les descriptions culinaires, la qualité de l’écriture, la structure d’ensemble qui nous incite à la poursuite de la lecture, un certain suspense, l’originalité du récit et son universalité.

Ce que j’ai moins aimé : -


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