La traversée du Colbert (André Duchesne)

André Duchesne. – La traversée du Colbert – De Gaulle au Québec en juillet 1967. – Montréal : Boréal, 2017. 318 pages.


« quasi Thriller historique »






Résumé : Le 24 juillet 1967, Charles de Gaulle, président de la France en voyage officiel, invité des gouvernements de Québec et d’Ottawa, a marqué à jamais l’histoire en prononçant, au balcon de l’hôtel de ville de Montréal, quatre mots – « Vive le Québec libre ! » - dont l’écho a traversé le temps.

À l’occasion du cinquantième anniversaire de cet événement singulier, avec l’avantage du recul, à la lumière d’entrevues avec les témoins de l’époque et d’informations puisées dans des fonds d’archives tant au Canada qu’en Europe, André Duchesne nous raconte le voyage du Colbert, le croiseur à bord duquel Charles de Gaulle a remonté le Saint-Laurent pour débarquer à Québec plutôt qu’à Ottawa, comme l’aurait voulu le protocole. Il reconstitue pour nous le fil des événements, depuis le ballet diplomatique entourant les préparatifs du voyage, où le Québec cherche à jouer sur la scène internationale un rôle tout nouveau pour lui, jusqu’aux réactions, à Montréal, à Québec, à Ottawa, à Paris et dans le monde entier, qu’a provoquées cet appel fatidique.

Il examine en même temps quelques questions qui n’ont jamais été résolues sur cet événement pourtant si fameux : qui a eu l’idée de faire venir de Gaulle par bateau plutôt que par avion ? L’allocution au balcon était-elle inscrite au programme de la journée ou a-t-elle été le fruit d’une inspiration subite ? Que savait le président de la situation au Québec ?

Grâce à une recherche originale et minutieuse, grâce à ses talents de raconteur, André Duchesne nous donne l’occasion de revivre ces heures qui, comme tous les moments-clés de l’histoire, ne cessent de nous fasciner et de nous révéler leurs secrets.

Commentaires : Voilà une enquête historique qui devait être faite afin de nous décrire dans le détail et de présenter l’envers du décor de cette visite mémorable qui a marqué l’histoire contemporaine du Québec. À l’époque du « Maître chez nous » du Parti libéral du Québec de Jean Lesage et d’ « Égalité ou indépendance » de l’Union nationale de Daniel Johnson.

Pour la première fois, les documents d’archives nous révèlent des informations encore jamais publiées. Idem pour les entretiens et la consultation de la correspondance d’un grand nombre de témoins de l’époque, tant québécois, canadiens que français. Toutes les sources écrites et visuelles utilisées par André Duchesne permettent de décrire, sans parti pris, les événements, les réactions politiques à froid et à posteriori ainsi que celles des médias avant, pendant et après le séjour au Québec du célèbre général. L’ouvrage se divise d’ailleurs en trois parties : la grande bataille diplomatique, en territoire canadien et gérer crise. Quelques trop rares photos accompagnent un texte qui se lit presque comme un « thriller » avec ses rebondissements. Quant aux extraits de discours, de communiqués, de lettres, d’articles de journaux, ils nous plongent dans l’ambiance du moment. Pendant que se tenait, à Montréal, l’exposition universelle et que le Canada célébrait le centenaire du Dominion.

La traversée du Colbert est un ouvrage rigoureux incontournable à se procurer et à lire absolument afin de se faire une meilleure idée du déroulement de ces journées historiques du 24 au 26 juillet 1967 parfois décrites en termes réducteurs d’incident ou d’accident diplomatique.

Je dois avouer que André Duchesne a ravivé d’heureux souvenirs, comme celui d’avoir vu, à l’angle de la Canardière et de la 10e rue où je demeurais, à quelques mètres seulement, le général et le premier ministre Johnson dans leur décapotable en route vers la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré. Peut-être m’avait-il salué. Et évidemment celui de la diffusion en direct par la Société Radio-Canada du célèbre cri lancé depuis le balcon devenu célèbre : « Vive le Québec libre ! ». 

Après avoir lu La traversée du Colbert, le lecteur comprend mieux les enjeux politiques du moment ainsi que les motivations progressistes du gouvernement du Québec (qui se tenait debout face à celui d’Ottawa) et du Président de la République française dans cette aventure en Amérique française.

Ce que j’ai aimé : Les informations nouvelles sur cet événement, dont entre autres certaines conversations « intimes » et les commentaires de politiciens qui, quelques années plus tard, allaient jouer un rôle important dans l’évolution politique du Québec : René Lévesque, Robert Bourassa, Pierre Bourgault…

Et ce commentaire du général, se refusant de féliciter le Canada pour le centenaire de la « Confédération », en référence à l’abandon par la France, en 1763, de la Nouvelle-France : « Nous n’avons à féliciter ni les Canadiens ni nous-mêmes de la création d’un « État » fondé sur notre défaite d’autrefois et sur l’intégration d’une partie du peuple français dans un ensemble britannique. Au demeurant, cet ensemble est devenu précaire. »

Ce que je n’ai pas aimé : -


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Aux larmes de sang (Laurent Palombo)

Laurent Palombo. – Aux larmes de sang. – Paris : Éditions du Panthéon, 2016. 265 pages.


Roman d’aventures fantastique







Résumé : Entre le royaume de Wacks et les Reines de sang, la guerre couve. Gaetian, chevalier à la puissance surnaturelle au service du sanguinaire roi Yanové, est pris au piège dans une embuscade de villageois révoltés. Alors qu’il s’apprête à exterminer les rebelles, il croise avec stupeur les yeux de félin d’un enfant et baisse sa garde. Car ce regard unique et animal, ce n’est que dans son propre reflet qu’il existe.

Face à l’évidence, il doit choisir : sauvera-t-il son honneur de soldat d’élite ou avancera-t-il sur le chemin de sa propre destinée ?

Commentaires : D’entrée de jeu, je dois l’avouer. Je n’ai jamais eu la curiosité ni l’intérêt d’aborder la littérature de genre fantastique (fantasy). Mais il y a de ces hasards fortuits qui permettent de faire d’heureuses découvertes. Comme celui de rencontrer un auteur pendant ses vacances au Québec avec sa petite famille et d’échanger nos premières œuvres littéraires. Quand on fait la connaissance d’un collègue littéraire fort sympathique qui, dans sa dédicace, vous souhaite de prendre « autant de plaisir à lire les aventures de Gaetian [qu’il a] eu à les écrire », il est difficile de ne pas tomber facilement sous le charme de son imaginaire foisonnant.

Et cela vaut tant dans l’introduction de personnages plus grands que nature que dans la description des lieux – villages pittoresques, château de verre, grottes mystérieuses, vaisseau/montgolfière amiral aérien…  –  tout aussi envoûtants les uns que les autres.

Dès les premiers chapitres, le lecteur est plongé dans un univers fantastique – chevalier surhumain aux yeux de félins, sorcières démoniaques, vieux sages, pierre magique aux pouvoirs mystérieux, panthère protectrice, royaume rival exclusivement dirigé et défendu par des femmes… – révélant tout de même une dimension humaine indéniable. Car ce héros hors du commun, quasi immortel, craint de la part de tous les villageois, enrôlé dès son jeune âge au service d’un despote sanguinaire, s’engage dans un parcours initiatique, transformé progressivement après la rencontre imprévue d’un enfant dont les caractéristiques physiques lui révèlent des liens de sang.

Ce récit, écrit dans un style à la fois épuré et suggestif convient autant aux adultes qu’aux jeunes adolescents, est rythmé par la description de nombreux combats sanglants – affrontant à première vue indestructibles, armes toutes aussi redoutables les unes que les autres – autant d’épreuves que le soldat d’élite doit  surmonter pour se rapprocher du but ultime de son parcours. À ce titre, il faut souligner que Laurent Palombo excelle dans les descriptions de ces joutes titanesques.

Aux larmes de sang a vraiment suscité mon intérêt jusqu’à la toute fin, jusqu’à comprendre la signification explicite du titre de cette fiction qui, dit-on, a été couchée sur papier à partir d’une histoire que l’auteur racontait au quotidien à son propre fils. Une transposition de l’instinct protecteur d’un père – soldat d’élite –, l’auteur étant lui-même adjudant à la Brigade territoriale autonome de Saint-Tropez) envers son propre garçon ? Ce raccourci est peut-être un peu trop facile.

Si vous aimez l’action, une histoire bien ficelée, des personnages mythiques et hauts en couleur, vous retirerez une grande satisfaction à découvrir ce nouvel auteur.  

Ce que j’ai aimé : Les descriptions des combats, l’univers fantastique quasi réaliste et l’évolution des sentiments humains du personnage principal. Les noms attribués aux différents personnages. L’imaginaire foisonnant de l’auteur.

Ce que je n’ai pas aimé : La finale un peu brusque, mais qui annonce sans équivoque une suite qui devrait permettre de boucler la boucle et, peut-être, de porter le chevalier dans les plus hautes sphères du royaume de Wacks.


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La peur des bêtes (Enrique Serna)

Enrique Serna. – La peur des bêtes. – Paris : Phébus, 2006. 308 pages.


Polar noir







Résumé : Evaristo Reyes, flic à la police judiciaire mexicaine, s’est fourré dans un sale guêpier. Chargé de rendre une « petite visite » à un journaliste, il est le dernier à l’avoir vu vivant et, par conséquent, le premier sur le banc des suspects. Obstiné, Evaristo mène l’enquête en solo. Sage décision : entre magouilles politiques et corruption, mieux vaut ne faire confiance à personne…

Commentaires : J’avais hâte de lire ce roman noir d’un auteur qualifié par Gabriel García Márquez comme l’un des meilleurs écrivains mexicains et que j’ai brièvement rencontré au Salon du livre de Montréal en novembre 2016. Et je n’ai pas été déçu. Le personnage créé par Enrique Serna évolue dans un contexte où violence et corruption alimentent le quotidien des forces de l’ordre et des autorités politiques dans le milieu littéraire mexicain où un retour d’ascenseur est attendu à la suite de tout service rendu : « je fais une bonne critique de ton recueil de poèmes et tu me donnes un coup de pouce pour le prochain prix littéraire ».

« En littérature et surtout en poésie, tu n’es rien si tes collègues t’ignorent. Tu as besoin du soutien de l’establishment, sinon tu es considéré comme un poète quelconque, même si tu es un génie » (p.165)

Constat : même les figures publiques du journalisme ou de la littérature populaire qui semblent, à première vue, lutter contre les injustices sont, en privé, les pires coupe-gorges.

« Parce que tu ne sais pas comment fonctionne la critique […]. Ce qu’on déclare en public ne compte pas. Pures formules de politesse. C’est dans les conversations de café ou les réunions entre amis qu’on dit vraiment ce qu’on pense de quelqu’un, à condition qu’il ne soit pas là. » (p. 87)

Évidemment, c’est presque devenu une constante dans le roman policier, le personnage principal a une propension marquée pour l’alcool, le sexe et la drogue. En soi, sa personnalité « polardienne » est peu originale. Il se démarque cependant par son intérêt pour la littérature, pour l’écriture romanesque, au point d’être qualifié par ses collègues d’intello. Un policier dont la culture littéraire est définitivement non compatible avec milieu pourri dans lequel il lutte pour sa survie, mais qui lui permettra de résoudre le crime dont il est injustement soupçonné. Et de découvrir, après avoir transposé sa recherche de la vérité dans une fiction, l’identité du meurtrier révélée en toute fin.

J’ai beaucoup apprécié La peur des bêtes parce que ce roman soulève, évidemment dans le milieu littéraire mexicain, la problématique des nouveaux auteurs qui se butent à percer dans un univers contrôlé par une clique de célébrités prêtes à tout pour conserver leur statut d’écrivains adulés. Dans un environnement politique qui lui aussi aspire à une stabilité permettant aux différents protagonistes de profiter des avantages du pouvoir et du contrôle des masses populaires à garder dans l’ignorance.

« Tu vois ces millions de livres entassés ? Eh bien, personne ne les lira jamais, parce que ce gouvernement qui diffuse la culture à grands renforts de trompette est le même qui a besoin d’un peuple ignorant pour perpétuer son pouvoir. » (p. 278)

Ce que j’ai aimé : La thématique et, entre autres, la réflexion de l’auteur sur le pouvoir des écrivains : « …les mots sont notre seule arme, une arme que nous utilisons pour donner une voix à ceux qui n’ont visage ni terre, aux oubliés s’aujourd’hui et de toujours » (p. 199)

Ce que je n’ai pas aimé : -


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J'haïs les vieux (François Barcelo)

François Barcelo. – J’haïs les vieux. – Montréal : Coups de tête, 2013. 110 pages.

Roman noir








Résumé : Armand Lafleur est un vieux chanteur de charme qui vit dans la solitude et l’oubli. Un beau soir, alors qu’il regarde une série policière, deux jeunes trentenaires frappent à sa porte pour l’inviter à remettre un prix dans un grand gala, le soir même. Une limousine l’attend en bas, et un tuxedo dans une loge là-bas.

Armand Lafleur accepte, pour se rendre compte que non seulement il a servi de bouche-trou, mais qu’il devra remettre un prix à sa pire ennemie, une vieille folle qui habite le même immeuble que lui et qui vient de faire paraître un dernier disque de ses grands succès.
Écœuré, Armand modifie le résultat et accorde le prix à une jeune artiste qui le rejoindra après la cérémonie, pour le remercier comme il se doit.

Personne n’entendra la vieille chanteuse se glisser dans la chambre d’Armand…

Commentaires : Je tenais à lire ce quatrième opus dans la série « J’haïs » (comme on dit au Québec) après « … le hockey, … les bébés  et … les Anglais ». J’y ai retrouvé une situation toute aussi absurde farcie de critiques politiques, sociales, économiques et culturelles. Ce pauvre vieux de plus de 80 ans a toutes les raison d’haïr les vieux et les vieilles qu’il côtoie et, si on était dans la vraie vie, d’haïr son auteur qui l’a plongé dans une histoire de meurtres et de suicide dont il finit par se rendre responsable jusqu’à vouloir lui-même disparaître de la carte.

Le mauvais sort s’acharne définitivement contre lui et, au fur et à mesure que s’accumulent les problèmes, toutes hypothèses, tentatives d'explications, solutions potentielles, rien ne se déroule comme anticipé. Un classique dans le style de François Barcelo qualifié de « docteur Jekyll et M, Hyde de la littéraire québécoise », dans ce petit roman noir où le futur d’Armand Lafleur ne tient qu’à un fil de téléphone, à ceux d’un ascenseur et à une boîte de tomates en conserve. Mais, il y a toujours des vieux qui viennent tout gâcher.

Avec une intrigue bien ficelée et un pur style d’humour noir, J’haïs les vieux se lit d’un trait et vous fera rigoler à coup sûr.

Ce que j’ai aimé : L’humour grinçant de l’auteur.

Ce que je n’ai pas aimé : Quelques redites.


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Mort d'un Chinois à La Havane (Leonardo Padura)

Leonardo Padura. – Mort d’un Chinois à La Havane. – Paris : Métailié, 2001. 97 pages.

Polar








Résumé : Le quartier chinois de La Havane ne manque ni de saveur ni d’exotisme : un corps y est retrouvé pendu, amputé d’un doigt, deux flèches incisées sur la poitrine,,, Le lieutenant Mario Conde, revolver à la ceinture et bouteille de rhum à la main, s’immisce parmi les immigrés asiatiques, répond à leur sourires énigmatiques et cherche le mobile du crime : argent, rituel religieux, drogue ?

Commentaires : Il y a peu à dire sur ce polar cubain de moins de 100 pages, sinon qu’il est, comme plusieurs autres romans du genre, une occasion de dénoncer discrètement la corruption politique tout en décrivant, et c’est là le volet intéressant ethnologique de cette fiction, le triste sort des immigrants chinois, des paysans qui se sont installés sur cette île des caraïbes dans l’espoir de faire fortune. La Havane héberge une communauté chinoise qui vit dans une extrême pauvreté. Leonardo Padura en profite pour intégrer dans le récit des références au vaudou, aux rites africains et à la mythologie chinoise. Pour ce qui est de l’intrigue et du suspense, ils sont quasi absents de cette enquête du personnage fétiche du romancier.

Ce que j’ai aimé : L’ambiance générale qui s’appuie sur des descriptions évocatrices des lieux et des personnages.

Ce que je n’ai pas aimé : L’absence de suspense entretenu dans le déroulement de l’action.

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Apportez-moi la tête de Lara Crevier (Laurent Chabin)

Laurent Chabin. – Apportez-moi la tête de Lara Crevier. – Montréal : Libre Expression, 2014. – 330 pages.


Polar/Roman noir







Résumé : Montréal. Le corps d’une jeune femme est découvert, nu et décapité, dans un immeuble décati de la rue Saint-Antoine. Qui est-elle? Si son identification se révèle délicate, celle de son assassin se heurte à des difficultés autrement plus complexes. Pour le lieutenant-détective Donnola, cette exécution monstrueuse ne correspond à aucune catégorie connue.

Le lieutenant, hanté par un douloureux passé, croisera un étudiant, Chris Dausty, anarchiste et ami singulier de la victime, qui lui aussi mène son enquête. Mais ils errent tous les deux dans le mystère le plus total tandis que les auteurs de cette obscène machination savourent leur triomphe en toute impunité.

Commentaires : À juste titre, comme on peut le lire sur la couverture de quatrième, ce polar, à la fois classique et déviant, est indéniablement « une charge violente contre l’ordre, contre la police, contre l’État et ses chiens ». Et après l’avoir lu, on comprend mieux la dédicace de l’auteur : « … le début d’une saga sur le mensonge, la liberté et l’anarchie… »

Laurent Chabin nous convie à une réflexion sur l’identité, sur fond de discours anarchiste et libertaire. Pour appuyer sa « thèse », il rappelle à notre mémoire de Québécois le soulèvement étudiant de 2012 (printemps érable), un coup d’épée dans l’eau ! Il fait aussi la référence à l’utilisation de la violence policière extrême comme dans le cas de l’arrestation brutale d’un citoyen montréalais qui jouait de la guitare en buvant de la bière sur le trottoir d’un quartier populaire de Montréal (affaire Matricule 728 - un clin d’œil en faisant intervenir une policière dénommée Louvette Ratel). Et cette référence au peuple québécois longtemps considéré comme un mouton qui se laissait et qui se laisse encore tondre sans réagir !

Écrit dans une langue simple et accessible qui mélange le français international (l’auteur est originaire du centre de la France) et le français québécois (l’auteur réside maintenant à Montréal), Apportez-moi la tête de Lara Crevier risque de vous envoûter par ses incursions dans un univers macabre et de sexualité morbide. Donnola et Dausty nous dévoilent, en alternance, leurs états d’âme tout en relatant les péripéties de leurs enquêtes respectives sur les lieux du crime, dans les bars et les salons de massages environnants. Le tout entrecoupé des réflexions personnelles (dont,entre autres, sur la soumission et la domination) de Laura Crevier, la jeune universitaire prise de passion pour l’art et la littérature, en quête de réappropriation de sa vie de femme à libérer des tentacules omniprésents d’un système immuable. Avec, évidemment comme dans tout bon polar, une finale imprévisible, qui explique tout.

En tournant la dernière page de cet excellent roman, je n’ai pu m’empêcher d’oser parallèle entre Laura Crevier, le personnage et Laurent Chabin, l’auteur : même constat de société contrôlante, même combat de libération ?

Ce que j’ai aimé : La psychologie de chacun des personnages et l’intégration de cette fiction dans les bas-fonds de Montréal où se côtoient misère humaine, exploitation des démunis. Les réflexions sur la liberté. Le policier condamné à poursuivre le menu fretin alors que ceux qui exercent le pouvoir s’en tirent toujours avec les honneurs de leur statut social.

Ce que je n’ai pas aimé : -


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Piège de sang (Jean-Pierre Gagné)

Jean-Pierre Gagné. – Piège de sang. – Boisbriand : Éditions Pratiko, 2017. 364 pages.

Polar








Résumé : L’avocat criminaliste Sark écoute avec attention les aventures de son ami Jacques Poirier, un éminent chirurgien de Québec qui a dénoncé de façon fracassante l’achat de nouveaux appareils médicaux. Poirier, qui ne faisait que ce qui semblait être son devoir, passe subitement du statut de « sonneur d’alarme » à celui de cible. Tout d’abord, il voit sa carrière remise en question sous de faux prétextes et ensuite, il doit se débattre pour se tirer d’une situation où les chances qu’il soit accusé de meurtre sont fortes. Sark devra user de tous ses trucs, incluant les plus scabreux, pour le tirer de là.

Commentaires : Qui de mieux qu’un éminent chirurgien pour imaginer un polar dont l’action se déroule en milieu hospitalier et mettre en scène un éminent chirurgien aux prises avec un scandale politique. On est au Québec fictif, dans un Québec réel ébranlé depuis quelques années par la magouille politique, la collusion et le copinage transposés dans le domaine de la santé. En présence d’un ministre de la Santé à qui on ne donnerait pas le bon Dieu sans confession, dont la femme est directement en conflit d’intérêts et le frère bénéficiaire de contrats privilégiés. Un comité de sélection bidon contrôlé par un homme de main. Un premier ministre qui se tient à l’écart d’une décision douteuse privilégiant une entreprise qui susceptible d’en retirer des bénéfices pécuniaires hors proportion. Et chacun des protagonistes qui pourront toucher leur part du gâteau. Une fiction peut-être pas très loin d’une certaine réalité !  

Dans Piège de sang, Jean-Pierre Gagné décrit un milieu  où cocaïne, alcool, sexe intra-muros, ambitions personnelles allant jusqu’à trahir le serment d’Hippocrate en éliminant patients et collègues trop curieux. Peu rassurant de constater que certains médecins semblent manier avec autant de dextérité le scalpel que le revolver !

Au demeurant, une intrigue, campée en bonne partie sur le territoire de la ville de Québec (l’édifice Marie-Guyart sur la colline Parlementaire, le Château Frontenac, le restaurant Montego de la rue Maguire, le motel miteux du boulevard Hamel, le Colisée Pepsi…), en Floride et à Montréal, plutôt bien menée. Avec, cependant, une finale plutôt abracadabrante qui amène le lecteur à s’interroger sur le sens éthique du personnage principal.

Ce que j’ai aimé : Les descriptions des interventions chirurgicales. L’avocat à la morale plutôt élastique prêt à tout pour atteindre ses objectifs. En somme, la crédibilité de l’histoire (les risques associés aux « sonneurs d’alarmes ») racontée par un auteur qui aime indéniablement le métier qu’il pratique dans un hôpital du quartier Limoilou, à Québec.

Ce que je n’ai pas aimé : -


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Cures et châtiments (Gary Victor)

Gary Victor. – Cures et châtiments. – Montréal : Mémoire d’encrier, 2013. 205 pages.


Polar vaudou







Résumé : Hanté dans ses cauchemars par les truands de la ville, l’inspecteur Dieuswalwe Azémar reçoit la visite d’une Brésilienne, Amanda Racelba, prête à tout pour l’assassiner afin de venger son père, ancien général des Nations unies en Haïti. Les preuves sont accablantes même quand l’enquête officielle avait conclu au suicide du généal. Azémar ne se rappelle pas avoir tué le général. Il s’engage alors dans une lutte sans merci pour élucider les faits.

Commentaires : La littérature policière est souvent le prétexte pour mettre en évidence le côté noir des sociétés dans lesquelles nous évoluons. Cures et châtiments de Gary Victor en est un bel exemple. Le lecteur y est plongé dans différentes facettes de la déchéance humaine dans ses institutions les plus vénérables : gouvernement, police, organisme international...

Avec un personnage central qui n’est pas en soi un modèle du genre, l’inspecteur Azémar, soumis à une cure de désintoxication à l’alcool, traqué, mais incorruptible, est en quête de sa propre liberté dans un univers où la corruption sous toutes ses formes est profondément ancrée dans les mœurs. Car dans ce roman, le bien et le mal ne se retrouvent pas nécessairement du côté qu’on appréhende : par exemple, ce poète qui se transforme en chef de gang après avoir pris conscience de la dégradation marquée de la société dans laquelle il évolue; ou les liens évidents des gangs de rues avec les forces policières.

Suspicion, trahison sont au rendez-vous dans ce polar écrit dans une langue décrivant sans compromis la misère humaine qui prévaut en Haïti et qui vous atteint dès les premiers paragraphes.

Au travers de cette fiction bien ficelée dans laquelle s’insèrent les croyances superstitieuses des Haïtiens, le lecteur constate que les rivalités de pouvoir entre grandes familles richissimes, les magouilles des gens au pouvoir, l’omniprésence de la violence, l’aide internationale qui ne réussit pas à stabiliser les institutions politiques… sont toujours au cœur de la vie quotidienne d’un peuple qui n’en finit pas de tenter de se relever. La seule solution, comme doit l’envisager Dieuswalwe Azémar : suivre l’exemple, extorquer et tuer pour s’en sortir.

Vous l’aurez compris, Cures et châtiments n’est pas un polar comme les autres. Par sa forme dénonciatrice de l’injustice et la violence, il dérange. On est ici en présence d’une œuvre littéraire originale et d’un auteur à découvrir qui a remporté de nombreux prix littéraires (Prix du livre insulaire à Ouessant, Prix RFO du livre et Prix Casa de las Americas).

Ce que j’ai aimé : L’ambiance générale et le style direct de l’auteur. Les liens avec l’histoire récente d’Haïti. Quelques scènes de la vie quotidienne.

Ce que je n’ai pas aimé : -


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